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Du MNA au MNLA : le passage à la lutte armée

Noria Research

Le 17 janvier 2012, le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) déclare la guerre à l’État malien au nom de l’indépendance de l’Azawad. Depuis l’indépendance du Mali en 1960, plusieurs vagues de rébellions lancées dans le Nord du pays se sont succédées. En 1963 puis en 1990, les forces maliennes avaient adopté une stratégie de répression par la terreur, visant principalement les civils. Un exil massif s’ensuivit et de nombreux rebelles retournèrent en Libye d’où ils avaient fomenté la rébellion de 1990 et où, le colonel Kadhafi leur offrait des postes au sein de son armée. En 2006, une nouvelle rébellion menée par Ibrahim Ag Bahanga et Hassan Fagaga éclate dans la région de Kidal. Ces différentes vagues de rébellion ont toutes eu recours aux armes à des fins politiques. Celle de 2012 s’en distingue dans la mesure où les individus à l’origine du projet sont des étudiants qui, dans un premier temps, se posent en rupture avec le répertoire d’action radical des générations précédentes.

En 2010 naît ainsi le Mouvement National de l’Azawad (MNA), mouvement étudiant, politique et pacifique, qui deviendra, à la fin de l’année 2011, le groupe politico-militaire Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA). Ce recours aux armes est-il le résultat de l’intervention en Libye ou d’un processus plus long ? Comment s’est effectué ce passage à la violence politique ? Il apparaît que les étudiants se politisent par le travail associatif et font le choix de la violence face à la répression de l’État. Néanmoins, le processus qui les a menés d’un engagement pacifique dans des associations estudiantines à la mise en place d’un groupe armé implique la constitution d’un réseau de solidarités de base, la construction d’un projet politique commun et l’acquisition de compétences organisationnelles, militaires et financières.

La constitution d’un réseau de solidarité

Les créateurs du MNA sont des individus âgés de 20 à 35 ans. Jusqu’en 1997, ils vivent dans des camps de réfugiés installés dans des pays limitrophes ou cachés en brousse avec leurs familles. Témoins directs des exactions commises par l’armée malienne et nourris par les récits de leurs parents, ils entretiennent depuis l’enfance un rapport de méfiance vis-à-vis de l’État central. De cette période, les jeunes militants d’aujourd’hui partagent la même expérience de l’exil, la peur, l’exclusion, et la violence, déterminante lors du passage à la lutte armée.

A l’obtention de leur baccalauréat, contrairement à la génération de leurs parents, ils sont nombreux à se rendre à la capitale pour y poursuivre des études supérieures. Une fois à Bamako, les étudiants déjà ancrés dans des relations amicales et familiales se réunissent en associations par localité d’origine[mfn] A titre d’exemple, ELLAY (association des jeunes étudiants originaires de Tombouctou), ASCUNK (association des scolaires et Universitaires de Kidal) et BJAM (Bureau des jeunes arabes du Mali)[/mfn]. Ces associations ont pour vocation de créer un espace de sociabilité et de mener des activités en faveur du développement des régions du Nord. Ces lieux de convivialité prennent rapidement la forme de réseaux organisés au sein desquels les étudiants acquièrent une certaine discipline collective pour mener à bien des projets culturels, sportifs et intellectuels. Les réunions sont hebdomadaires, de même que les cotisations, et le budget est complété par l’organisation de concerts. Aspirant à contribuer au développement de leur région d’origine, les jeunes diplômés créent des espaces de débat et de réflexion centrés sur des problématiques politiques concrètes : l’accès à la santé, l’éducation des enfants nomades, l’insécurité dans les régions du Nord ou le chômage des jeunes. Par exemple, ayant souffert de l’inaccessibilité aux premiers soins de santé, plusieurs associations vont appuyer la formation de deux ou trois étudiants infirmiers. Les préoccupations au centre de leur engagement associatif répondent ainsi à des situations auxquelles ils se sont trouvés confrontés dans leur région natale. Loin d’être des entités déconnectées, ces différentes associations se fréquentent et se retrouvent chaque année autour d’un tournoi de football inter-régions. Produit de ces rencontres, le réseau estudiantin est officialisé le 8 mars 2007 sous la forme d’un collectif nommé « Afous-Afous » (« main dans la main » en tamasheq). Celui-ci se donne pour objectif de réunir les jeunes Touaregs, Maures, Songhai et Peuls originaires des régions du Nord autour des questions de l’éducation et des perspectives de la jeunesse. Des antennes sont ouvertes dans la sous-région par le biais des membres qui partent étudier en Algérie, au Maroc, en Libye et au Niger. Les réseaux sociaux tels que Facebook et Skype, accessibles à l’université et peu couteux, permettent de maintenir le lien.

La création d’un Mouvement

A cette époque, Bilal Ag Acherif, actuel secrétaire général du MNLA, suit des études d’économie et participe à des associations étudiantes similaires en Libye. Avec son camarade Mohamed Ag Ghali, actuel président du bureau politique du MNLA, ils prennent l’initiative, à leur retour au Mali, de rencontrer les leaders des associations basées à Bamako. Lors de cette rencontre, ils discutent de la création d’un parti politique qui répondrait aux aspirations des populations du Nord. Deux leaders étudiants, l’un francophone, Mossa Ag Acharatoumane[mfn]Actuel chargé des droits de l’homme au sein du MNLA[/mfn], l’autre anglophone, Bilal Ag Acherif, se rendent en Europe dans le but d’y trouver des soutiens politiques extérieurs. Leur voyage coïncide avec une période de sécheresse dans le Nord du Mali, où l’urgence humanitaire vient légitimer leur démarche. En France, en Belgique et en Suisse, ils rencontrent des diplomates de l’Union européenne, des représentants de l’ONU et échangent avec des partis politiques autonomistes, notamment les leaders de partis bretons, catalans et corses. A leur retour d’Europe, ils organisent un congrès à Tombouctou pour officialiser le mouvement. Les réseaux des associations estudiantines de Bamako prennent en charge le financement du congrès, règlent les formalités administratives et obtiennent les locaux de la mairie. Parallèlement, dans le reste du pays, leurs amis s’occupent de la logistique d’accueil des délégations de chaque association et des antennes du collectif Afous-Afous au Maroc, en Libye, au Niger et en Algérie. Les leaders prennent en charge la coordination et la communication de l’événement ; l’ORTM[mfn]Office de radiodiffusion et télévision du Mali.[/mfn], RFI et Al Jazeera sont invités.

L’État, qui n’avait jamais interféré dans le déroulement des activités associatives des étudiants, s’oppose alors à l’organisation du congrès. La Direction Générale de Sécurité d’Etat (DGSE) menace certains leaders de sanctions sévères et leur impose une surveillance particulière[mfn]A titre d’exemple, Attaye Ag Mohamed, président de l’association Ellay de Tombouctou et actuel membre de la cellule communication du MNLA est convoqué à plusieurs reprises par les services d’Etat et reçoit pendant toute la durée du congrès, alors qu’il est à Bamako, des appels anonymes lui signifiant sa surveillance et l’intimidant avec une éventuelle arrestation.[/mfn]. Si certains membres cèdent aux intimidations et restent à Bamako, le congrès a tout de même lieu à Tombouctou les 31 octobre et 1er novembre 2010 avec l’accord du gouverneur local. Le matin du 1er novembre, Mossa Ag Acharatoumane, qui représente le mouvement auprès des médias, est convoqué à la gendarmerie locale avec Bobacar Ag Fadil, autre participant au congrès. Dans la matinée, ils sont transférés à Bamako et enfermés dans la prison de la sécurité d’État. Officiellement ils sont accusés du vol d’un véhicule. Le même jour, à Tombouctou, le congrès se termine par la déclaration de naissance du Mouvement National de l’Azawad (MNA). Face aux menaces proférées par les agents de l’État avant le congrès, les organisateurs avaient prévu que certains membres resteraient à Bamako. La lutte pour la libération de leurs deux amis est l’occasion pour les étudiants de découvrir qu’ils peuvent se coordonner et agir ensemble dans l’urgence. La nuit qui suit l’arrestation, un site internet et un logo du MNA sont créés. Un mémorandum, synthétisant le bilan du congrès de Tombouctou, est diffusé à toutes les institutions officielles nationales et internationales basées à Bamako. Suite à cette tentative d’officialisation de leur mouvement politique, les étudiants organisent le 12 novembre 2010 un sit-in devant la cour d’appel de Bamako, mettant en avant la violation du droit malien qui interdit qu’un individu soit détenu plus de quarante-huit heures sans avoir accès à un avocat. Le sit-in est immédiatement réprimé ; dix manifestants sont blessés, trois autres arrêtés. Les deux étudiants emprisonnés seront libérés dix-huit jours plus tard sans jugement.

Les effets de la répression

La couverture médiatique de la répression rend le mouvement populaire auprès des jeunes Touaregs. Le soir même de l’arrestation, la chaîne Al Jazeera diffuse au journal de vingt heures la photo des étudiants arrêtés et la déclaration de création du MNA, suivie d’images des combattants armés de la rébellion menée par Ibrahim Ag Bahanga en 2006[mfn]http://www.youtube.com/watch?v=msuTXzq-tJo[/mfn]. Selon les leaders politiques du MNA, l’utilisation de la force face à une initiative politique estudiantine décrédibilise le Mali, alors perçu comme le « modèle démocratique de l’Afrique de l’Ouest », et permet ainsi de justifier, vis-à-vis de l’opinion publique le passage à la lutte armée.

Au sein du mouvement, cette série d’actes répressifs a un effet fédérateur, et le débat sur la discrimination politique des Touaregs refait surface. La réaction violente de l’État face à la tentative de dialogue des étudiants incite les familles à soutenir cette génération éduquée en laquelle ils plaçaient l’espoir d’un avenir apaisé. Chez les étudiants, la répression renforce le sentiment d’appartenance à un groupe stigmatisé qui n’a pas accès aux services de l’État et devient un symbole d’injustice. Profitant de cet élan de sympathie, les étudiants mènent un travail de sensibilisation politique auprès de la population. L’objectif est de constituer une base sociale du MNA en s’appuyant sur leurs réseaux familiaux et amicaux étendus dans les trois régions du Nord et les pays limitrophes. « On avait une méthode qui était différente de toutes les méthodes des rébellions passées. Déjà on n’a pas commencé par les armes, on a commencé par véhiculer un message politique, par sensibiliser les populations, par les organiser, organiser des petites réunions, organiser des petites conférences, écrire des lettres, parler de tout ce qui s’est passé et s’adresser à tous les acteurs, les femmes, les jeunes, les notables, les élus, les intellectuels, les personnes ressources, les anciens rebelles. C’était tout le monde qui était touché dans la société[mfn]Entretien avec Mossa Ag Acharatoumane le 13/11/2013 à Paris[/mfn] » explique Mossa Ag Acharatoumane. Cette nouvelle génération innove en se rendant jusqu’aux campements les plus reculés. Elle encadre la population par toute une série d’organisations, comme, par exemple, l’Association des Femmes de l’Azawad.

La répression et l’interdiction de réunions du mouvement marquent une rupture dans l’organisation interne en imposant le passage à la clandestinité. Désormais les rencontres ont toutes lieu hors de Bamako et n’excèdent pas vingt minutes. Grâce à la nouvelle popularité du MNA, les étudiants mettent en place trois comités : un comité de relais, un comité militaire et un comité d’information. Les antennes des associations en région se transforment en cellules et ont pour nouvelle fonction de fournir des comptes-rendus mensuels sur l’évolution des alliances internes, les passages d’armes, de militaires maliens et de véhicules d’AQMI. Ces indications sont classées par le comité de relais, groupe restreint composé de jeunes leaders du MNA. Celui-ci détient toutes les informations et travaille particulièrement à la mise en commun des compétences de chaque génération. Un ex-rebelle de 2006, intégré à l’armée malienne suite aux accords d’Alger, dirige le  comité militaire qui a pour objectif de tenir des réunions secrètes avec les porteurs d’uniformes susceptibles de déserter au moment opportun. Le comité d’information  mène quant à lui les campagnes de sensibilisation, les recrutements en région et prend en charge toute la communication du MNA, tant sur les réseaux sociaux que sur le terrain.

La construction du discours

La répression donne un sens concret aux discours du mouvement. Elle pousse les militants à transformer des frustrations individuelles qu’ils ont formulées dans les associations en un programme politique. Les étudiants fournissent des éléments cognitifs à la lutte, dessinant une carte de l’Azawad, créant un drapeau, proposant un projet politique, mettant par écrit une histoire commune et inventant un nouveau terme pour désigner les habitants de ce territoire : les Azawadiens.

Le noyau dur des jeunes actifs du MNA se retrouve lors d’un congrès en  avril 2011, dit  d’«  Odoud », réuni en trois commissions. La première est chargée d’établir une carte géographique de l’Azawad ; pour ce faire, des groupes de jeunes sont envoyés à chaque frontière. Inkinane, un participant au congrès d’Odoud, raconte : « Ils sont partis demander aux habitants où se limitait le commandement touarègue à l’époque, où est-ce qu’étaient les commandements des Azawadiens à l’époque, là où c’était limité, là où c’était pas limité. Là où nous avons des régions depuis les années de confédérations touarègues, c’est à travers ça qu’on a défini la carte, qu’on a su vraiment notre territoire ; c’est ici qu’on vivait avant l’arrivée des Français [mfn]Entretien avec Inkinane le 11/12/2013 via Skype[/mfn]».

Une deuxième commission est chargée de la création du drapeau de l’Azawad : chaque bureau d’associations en région transmet alors sa proposition. Le choix se porte finalement sur un drapeau composé de trois bandes de couleur : le noir symbolise « les massacres et l’oppression malienne », le vert « la verdure, la liberté, l’indépendance », le rouge un « hommage aux martyrs morts pour l’Azawad ». Le triangle jaune qui surplombe ces trois couleurs symbolise le désert et les richesses minières du territoire. Ce drapeau obtient un succès immédiat et, dans les semaines qui suivent, l’association des femmes de l’Azawad ouvre deux locaux pour coudre de nombreux drapeaux de différentes tailles.

La dernière commission est chargée de définir le règlement et les instances du MNA. Le congrès constitue ainsi le moment de naissance du conseil consultatif, du conseil révolutionnaire et du bureau politique. Le conseil consultatif forme une assemblée de représentants constituée de leaders d’opinion, notables et religieux qui se sont solidarisés à l’initiative des étudiants suite à la répression étatique. Le conseil révolutionnaire a pour fonction de « sauvegarder et orienter l’idéologie révolutionnaire du mouvement [mfn]Entretien avec Mossa Ag Acharatoumane le 13/11/2013 à Paris[/mfn]». Le bureau politique est défini comme l’organe exécutif du MNA et rassemble plusieurs fonctions, dont celles du secrétaire général, du chargé de la sécurité et du chargé de communication.

Le discours élaboré et diffusé lors des campagnes de sensibilisation reflète le mémorandum rédigé par les étudiants lors du congrès de Tombouctou. Les étudiants y livrent leur diagnostic de la situation sociale et économique des régions du Nord et présentent l’État du Mali comme une entité étrangère et ennemie. Les principales thématiques sont l’insécurité, le sous-développement et la marginalisation de ces régions et de ses habitants. La présence d’AQMI depuis 2003 et des groupes de narcotrafiquants est interprétée en termes d’incapacité de l’État à sécuriser le territoire, les étudiants qualifiant leurs régions de « zones de non-droit ». Ils dénoncent l’immobilisme de l’État face à ces groupes ; le soupçon d’une complicité entre l’État et les narcotrafiquants est également soulevé dans le texte. La marginalisation est essentiellement illustrée par l’absence de routes goudronnées, de moyens de transport, de réseau téléphonique, par le manque d’éducation, la très faible couverture médicale et l’abandon de l’État lors des périodes de sécheresse. Ce diagnostic fait écho à la réalité sociale des habitants du Nord et le message devient très populaire. Le mémorandum formule trois principales revendications: le jugement des responsables des exactions à l’encontre des civils depuis 1963, une enquête sur les fonds internationaux destinés au développement qu’ils estiment sans cesse détournés par les agents de l’État, et l’autonomie de l’Azawad. Le mouvement inscrit cette dernière, la revendication phare du MNLA, dans un cadre juridique international en faisant appel aux normes relatives aux droits des peuples autochtones[mfn]Sur le conseil de certains diplomates et leaders politiques des partis autonomistes sus-mentionnés, les étudiants s’appuient sur la notion établie par l’ONU de « peuples autochtones ». Cette décision stratégique leur permet  d’accéder à des droits particuliers, à des formations des Nations Unies et à des financements internationaux, et de s’intégrer dans un réseau international de minorités qui s’estiment en danger d’acculturation au sein de leur État.[/mfn].

C’est toujours par le biais du mémorandum que les étudiants proposent une histoire commune au peuple de l’Azawad. Les périodes qu’ils décident de traiter se résument essentiellement aux séquences de rébellion-répression. Ils s’appuient sur les récits oraux de leurs aînés et produisent ainsi une version de l’histoire au plus près de la mémoire collective de la population visée. L’usage de l’histoire a une triple  fonction. Elle justifie d’abord, pour les militants, l’accès à l’autonomie par le caractère illégitime de l’occupation de ce territoire par le Mali. Elle inscrit ensuite leur engagement dans une lutte historique en invoquant l’action des résistants de l’Azawad, faisant ainsi appel à un devoir vis-à-vis des générations passées. Pour finir, elle dote les habitants du Nord-Mali d’un référentiel partagé et répond au besoin des jeunes scolarisés qui constatent l’absence de leur communauté des programmes scolaires. C’est dans le mémorandum qu’apparaît pour la première fois le terme d’Azawadi, qui traduit une volonté d’identification territoriale unificatrice. L’invention de cette appellation commune tend à rendre inopérante une des stratégies étatiques dénoncée par les étudiants qui consisterait à s’appuyer sur des critères ethniques et communautaires pour diviser les habitants du Nord et dépolitiser leur lutte. Signe de sa diffusion et de son adaptation, ce terme évolue rapidement pour devenir, sous l’influence du français, « Azawadien » et « Azawadienne ».

Le passage à la lutte armée

Bien que la décision de la lutte armée ait été prise suite à la répression, sa mise en pratique nécessite des compétences militaires et des ressources financières que les étudiants ne possèdent pas. L’organisation concrète du passage à la violence s’appuie donc sur des structures préexistantes.

Suite à la rébellion de 1990, certains rebelles refusèrent l’intégration à l’armée malienne et retournèrent en Libye. Depuis leur exil, ce petit groupe de militaires se préparait à une future rébellion dans l’Azawad. Ces ex-rebelles de 1990 n’entretenaient pas de relations avec Ibrahim Ag Bahanga avant qu’il ne déclenche la rébellion de 2006, mais le rejoignent dès les premières attaques. Quelques mois plus tard, à  la signature de l’Accord d’Alger, ce petit groupe de rebelles retourne en Libye. Bilal Ag Acherif, étudiant en Libye, entretient des relations avec ce groupe. C’est également un ami très proche de Mohamed Ag Nagim, ancien colonel de l’armée libyenne et actuel chef d’état-major du MNLA. Le petit groupe de rebelles basé en Libye va faire le lien entre les leaders étudiants et Ibrahim Ag Bahanga. Dès novembre 2010, ce dernier affiche un soutien clair au MNA, mettant à disposition son matériel militaire, ses hommes et ses armes. Hassan Fagaga, lieutenant-colonel de l’armée malienne et allié d’Ibrahim Ag Bahanga, en est informé. Il se montre alors disposé à agir le moment venu, aux côtés d’autres militaires et hauts gradés de l’armée malienne qu’il prévient.

Les rebelles de la génération précédente accompagnent les étudiants dans la gestion des ressources militaires et financières. Le financement de l’organisation s’appuie sur un réseau de cotisations mis en place depuis les années 1990. L’actuel MNLA fonctionne sur un modèle de micro-financement à base de cotisations individuelles auprès de l’ensemble de la diaspora acquise à la cause. Ce budget est essentiellement centralisé par les femmes, qui le répartissent sur le terrain sous forme de biens de premières nécessités : pétrole, vêtements et nourriture. De plus, les étudiants sont en communication avec les Touaregs basés en Libye. Les passages d’hommes et d’armes répondent aux mêmes exigences de prudence et suivent le même fonctionnement que lors de la rébellion de 1990.

Le passage à la lutte armée et son fonctionnement interne sont l’aboutissement d’un processus qui s’inscrit dans un temps long. Celui-ci implique une base sociale portée par un projet de société commun et est facilité par l’existence d’une forte proportion d’hommes déjà formés au maniement des armes – anciens rebelles de 1990 et de 2006, déserteurs de l’armée malienne et militaires Touaregs formés en Libye. De plus, l’intervention multinationale en Libye octroie aux initiateurs du conflit des ressources inespérées : des hommes et des moyens militaires arrivent en masse dans le Nord du Mali. La mort de Kadhafi fait baisser la vigilance aux frontières et les Touaregs, derniers soutiens du colonel, héritent d’une partie de l’artillerie libyenne.

Après plusieurs rencontres discrètes, les différents groupes se réunissent officiellement à Zakak le 15 octobre 2011 pour créer le MNLA. Celui-ci garde la même structure que celle du MNA : un bureau politique, un conseil consultatif et un conseil révolutionnaire. Le projet politique reste le même, les statuts et règlements du MNA sont également maintenus. La seule innovation tient à la création de statuts pour la branche armée du nouveau parti et à l’adaptation du site Internet et du logo du MNA au nouvel acronyme. Les étudiants mettent à profit leur maîtrise des nouveaux médias et alimentent des sites communautaires avec leurs films, photographies et articles. Ce faisant, ils participent à la mise en commun des compétences qui réunit différentes générations de rebelles

Le 16 octobre 2011, le MNLA publie sur le site son premier communiqué officiel « Nous lançons un appel pressant à l’État du Mali pour répondre par le dialogue dans l’urgence aux revendications politiques déjà transmises par le MNA [mfn]Extrait du premier communiqué du MNLA. URL : http://www.mnlamov.net/projet-politique/37-projet-politique/72-communique-nd-1-du-mnla.html[/mfn] ». Trois mois après cet appel à la négociation politique, le 17 janvier 2012, le MNLA attaque la garnison de Menaka et déclare la guerre à l’État malien.